Undo — 22 Mar 2003

Il y a des jours comme ça. Des jours où tout débute bien, et où tout bascule en l'espace d'un instant. Soudainement, le niveau d'entropie ambiant grimpe et obscure l'harmonie de l'instant précédent. Toute l'énergie et la conscience est mobilisée pour gérer l'urgence au mieux, alors que le subconscient commence à remettre en question les causes et à analyser les effets.

Que serait la vie avec une fonction undo?

Hier vers 16h, Emma est tombée de mes épaules, en arrière, pour finalement percuter le trottoir des Pâquis le front en premier. La scène s'est déroulée comme au ralenti. Son pied gauche a glissé de ma main, et le poids de son corps a disparu de mes épaules, alors que son centre de gravité basculait en arrière, inexorablement vers le bas. Je sens encore la pression de son corps sur mes épaules, ainsi que l'asphyxie de l'instant où elle disparu. Je ne me souviens pas d'avoir repris mon souffle.

Le choc fut sourd. Un cri de femme me confirma l'existence de cette réalité que je cherchais à nier. Assis parterre, Emma dans mes bras, je cherchais fiévreusement les blessures, coupures, cassures. Un gros hématome apparaissait déjà au centre du front, alors que l'oeil gauche s'enfonçait lentement dans les plis de l'arcade qui grossissait. Elle me fixait dans les yeux.

Undo.

Les souvenirs encore trop présent de sa mésaventure de janvier sont revenu aux premières loges. Commotion cérébrale? Fracture du crâne? Dans quel état est sa mâchoire? Ses dents? Son oeil? Elle s'agrippe en pleurant légèrement et se blottit dans mes bras. Responsable de sa chute, je suis aussi responsable de ses soins immédiat et de sa guérison. Coupable, que donnerais-je pour renverser la situation? Pour annuler l'action? Pour dérouter le sort? Mon estomac se retourne, des frissons parcourent ma colonne vertébrale, mes mains se refroidissent. "Don't worry love, everything will be okay".

Elle ne perdit pas connaissance, et ne vomit pas. Je rejoigna Fabienne et Mathias en courant, et l'on se rendit tous aux urgences pédiatriques de l'Hôpital. Son visage tuméfié et ensanglanté reprenait vie petit à petit. Elle commença petit à petit à observer et à commenter ce qui se passait dans son environnement immédiat; puis à y participer. Le premier bilan médical ne suggérait rien de grave, et on nous incita à rejoindre la salle d'attente qu'on ne quitta plus pour les 3 heures qui suivirent.

Tous parents a du ressentir ça un jour, souhaiter de pouvoir prendre sur soi la douleur, l'injustice, le malheur qui frappe son enfant. Toute perspective disparait, il ne reste plus que les tripes, l'émotionnel. Le reste du monde ne compte plus, n'existe plus. Je me suis rejoué la scène des dixaines de fois dans la tête en imaginant le geste qui aurait pu éviter l'impact, qui aurait amorti le choc, qui aurait déjoué le sort. Mais en vain. Je ne me souviens même plus de l'instant de l'impact, comme si mon cerveau l'avait effacé et substitué par un trou noir, par protection, par lâcheté.

Tout ceci est excessif et irrationnel, rédigé en bloc, tard le soir, sans relecture ni corrections, mais ça me fait du bien de les déposer, comme ça, brut.

"Don't worry love, everything will be okay".